Une histoire de chaperon rouge
Non je ne vais pas vous raconter une histoire de grand méchant loup, mais seulement la petite histoire de quelques élus qui demandaient un peu plus de respect…
Très tôt les communautés de Méolans et Revel ont pu s’administrer, gérer leurs montagnes pastorales et leurs forêts, imposer des règles dans le cadre règlementaire du pouvoir central, mais tout de même de façon indépendante, n’étant plus inféodés à un seigneur local. Leurs habitants assujettis à l’impôt formaient un conseil et choisissaient divers officiers municipaux, avec deux consuls à leur tête, ainsi qu’un juge : le baile. Les conditions et le mode d’élection étaient le résultat d’une coutume ancienne respectée pendant plusieurs siècles, propre à chaque communauté.
En 1713 la vallée de l’Ubaye est rattachée au Royaume de France. Devenue « terre adjacente » de Provence, un règlement royal de 1716, particulier pour la vallée de Barcelonnette, stipule : les communautés « continueront dans l’usage où elles sont d’élire et nommer, chaque année, des consuls, des bailes et autres officiers municipaux et les consuls de Barcelonnette porteront le chaperon à l’instar des autres villes royales de Provence… ».
Le chaperon était un signe honorifique que portaient les consuls des localités de quelque importance, depuis plusieurs siècles déjà. Dans les grandes villes, notamment du Sud-Ouest, c’était la « robe consulaire », ou un grand manteau à capuche, mais dans la plupart des communautés de moindre importance c’était plutôt une écharpe portée sur l’épaule gauche, toujours dans un tissu luxueux. Bien sûr, par mesure d’économie, le chaperon est plus modeste dans les petites villes et devient un simple ornement porté sur l’épaule gauche. Très vite la couleur rouge, symbole de pouvoir et de prestige, s’est imposée, souvent mariée au noir : à Aix, Manosque, Sisteron et Digne du satin rouge et du velours noir cousus en une grande pièce circulaire… Mais du bleu et du rouge à Moustiers…
Les représentations sont très peu nombreuses pour notre région.
Un tableau dans la chapelle des Pénitents de Seyne les Alpes représente une procession, on y distingue quatre consuls portant le chaperon rouge sur l’épaule.
Les pénitents blancs marchent en tête de la procession, suivis des ecclésiastiques, du baile puis quatre consuls en chaperons rouges sur l'épaule.
On remarque leur visage sans barbe ni moustache et leur col en dentelle.
Les femmes : d'un autre côté...
Les consuls tenaient beaucoup à ce signe distinctif et au respect qui devait s’y rattacher. Si bien que plusieurs communautés vont présenter des requêtes au Parlement d’Aix pour être autorisées à délivrer le chaperon. A Méolans ce sera en 1748, car les temps sont difficiles pour les élus :
« Les assistants (au conseil) prévoyant que dans les circonstances de temps les sieurs consuls ne sont plus respectés lors des passages de troupes, attendu qu’ils n’ont aucune marque de constat, que là où les sieurs consuls ont quelque marque ils sont plus respectés et obéis et qu’à l’exemple de nos voisins ayant obtenu des supérieurs la permission d’avoir des chaperons, il conviendra que cette communauté le demandât par devant qui de droit. Et à cet effet les assistants ont commis et député le sieur Jean Derbez feu Honoré consul pour employer les personnes qu’il conviendra pour obtenir ladite permission, et l’ayant obtenue, faire faire ensuite des chaperons à ses propres (avance des frais) et de la même façon et étoffe que la communauté du Lauzet a fait faire, avec promesse d’agréer tout ce que le sieur Derbez aura fait à ce sujet. Ce que tout a été délibéré par les assistants… et les assistants l’ont promis par élèvement de leurs mains attendu la pluralité. »
Les consuls du Lauzet avaient donc déjà le droit de porter le chaperon. L’année suivante ceux de Barrême vont en faire la demande au même motif : le passage des troupes. Il faut dire que les consuls s’occupaient des réquisitions, et répartissaient même les soldats chez l’habitant…
Le port du chaperon semble très répandu jusqu’à la Révolution. Un véritable code du port de cette distinction s’était établi : avec qui et quand le porter, ou ne pas le porter…et ce n'était pas le même code partout, d'où quelques incidents diplomatiques.
Mais le chaperon ne protège pas de tout :
Le notaire Maître Jacques Honnorat nous relate dans ses notes le 8 octobre 1740 que les consuls de Barcelonnette ont été conduits au fort de Saint Vincent, d’abord emprisonnés de nuit sans chandelle, puis conduits à midi dans une chambre où personne ne peut leur parler, alors qu’« ils sont en chaperon ».
Ailleurs ce sont des incidents cocasses qui sont rapportés : un consul réveillé en urgence qui sort en chemise et bonnet de nuit, mais avec son chaperon jeté sur l’épaule pour se rendre au plus vite chez un forcené… Un consul indigne peut être « déchaperonné »…
Cependant les chaperons coûtent chers, bien que de plus en plus modestes au fil du temps. Transmis de consul en consul jusqu’à l’usure complète, ils peuvent être dans un état pitoyable, on le déplore dans les délibérations de plusieurs communautés et on a du mal à en faire la dépense. A Barcelonnette ce sont les Sieurs Matheron et Arnaud, marchands, qui les vendent à diverses communautés, et toujours en velours pour l’année 1773.
Marie Christine
Photos Jean Baptiste Aubert http://dignois.fr et archives départementales du Tarn : Albi 4EDT AA7 2NUM57 25/149
Pour en savoir plus sur les officiers municipaux : https://www.laverq.net/une-deliberation-de-meolans-et-revel-en-1692/