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Premier poste en montagne

Publié par Marie Christine Duval le mardi 17 mars 2020

Quand les jeunes institutrices rejoignaient leur poste

A partir de 1879, suite à la création d’une école normale de filles dans chaque département, plusieurs générations d’institutrices ont été formées chaque année. Les jeunes pionnières de l’école publique se sentaient investies d’une véritable mission: instruire la population française. Leur première affectation fût pour certaines un pénible exil, pour d’autres une aventure ou un défi…mais elles firent preuve de civisme et d’un dévouement sans faille. Les écrivaines Emilie Carle et Maria Borrély ont passionné leurs lecteurs en racontant leur vie de jeune institutrice en montagne.  

Le vallon du Laverq a compté jusqu’à 3 écoles ouvertes tout l’hiver. Il fût un temps où l’institutrice rejoignait son poste sur la mule de Joseph Berbeyer, le facteur en uniforme.

Institutrice
Arrivée de l'institutrice sur la mule de Joseph Berbeyer©Lucien Tron

Une génération plus tard, la vie dans les vallées et les déplacements étaient à peine plus faciles. Une jeune fille, « pauvre petite isolée », raconte son voyage jusqu’à Bayasse, en pleine tempête. Plus de mule, mais une « pèlerine » et des skis, et même plus de facteur, il n’est pas passé…

Institutrice003
hotel Arnaud à Fours, carte postale ancienne
Institutrice006
au dos de la carte

« Bien chers tous

Me voilà rendue à Bayasse, arrivée à 5h à St Laurent avec la neige et la tourmente j ‘ai jugé plus sage de faire halte. Je ne suis donc repartie que ce matin à 10 h en skis, la couche était épaisse, mais la trace était ouverte d’abord par Mr Arnoux ensuite par le cantonnier, c’est donc sans mal que je suis arrivée à mon domicile ; la chambre est un peu froide mais avec un bon feu, je la préfère aux avalanches et aux cabanes de cantonniers. Vous m’excuserez de vous avoir procuré beaucoup de dérangement et d’avoir emporté jusqu’ici la pèlerine qui avec la neige m’a bien préservé la tête et les épaules. Bien merci et affectueuses caresses d’une pauvre petite isolée et prisonnière de la neige. Renée.
Le facteur n’est pas passé aujourd’hui et je me demande si cette carte pourra vous atteindre cette année ou l’année prochaine. »

 Albert Lebre a été très ému par le récit trouvé au dos de cette carte postale ancienne de l’auberge Arnaud de Fours. Il écrit :

La carte postale ne porte malheureusement pas de date. Elle a probablement été écrite dans le premier tiers du XXe siècle par une jeune institutrice en poste à Bayasse. Ce hameau est distant d’une vingtaine de kilomètres de Barcelonnette.
Après la traversée du village d’Uvernet la route progresse pendant une dizaine de kilomètres au fond des impressionnantes gorges du Bachelard.

Jusque vers les années 1950 et peut-être même plus tard, le vallon de Fours a toujours été isolé, de la Toussaint à la fin mai, à cause des quantités impressionnantes de neige accumulée et des risques permanents d’avalanches.
Même aujourd’hui où la route a grandement été améliorée et où les moyens de déneigement n’ont plus rien de comparable avec ce qu’ils étaient il y a quelques décennies les liaisons sont souvent interrompues en hiver.

Jusqu’au milieu du XXe siècle il devait exister deux ou trois écoles dans le vallon. Leurs postes échouaient inévitablement aux jeunes instituteurs débutants.

Ce petit courrier est remarquable : Tout y est dit avec élégance, pudeur et retenue.
Comme si tout cela allait de soi.

« Je suis arrivée à St Laurent avec la neige et la tourmente ». Il y a exactement 12 km entre Uvernet et St Laurent à travers les gorges du Bachelard sans une seule maison d’habitation, tout au plus quelques cabanes de cantonniers.

« Je suis repartie ce matin à skis jusqu’à Bayasse, (environ 1800m d’altitude) la chambre est un peu froide ». On imagine le confort rustique de cette pièce, surement restée quelques jours sans chauffage, avec des températures extérieures de -15 à -20°, puisqu’on est en décembre.

« Je la préfère aux avalanches et aux cabanes de cantonniers ». Éventualité qu’elle semble avoir envisagée avec courage tout au long du trajet.

« Bien merci et affectueuses caresses d’une pauvre petite isolée et prisonnière de la neige ». Que cela est bien dit et quelle pudeur à dissimuler son angoisse.

« Le facteur n’est pas passé aujourd’hui, je me demande si cette carte vous atteindra cette année ou l’année prochaine ». Si le facteur, homme de courage et devoir, ne pouvait pas assurer sa tournée c’est que les conditions étaient extrêmes.

Les enseignants de cette trempe méritaient bien l’appellation de « petits soldats de la république ». C’était il y a bien longtemps !

Albert

Four
Fours: un autre côté de la Grande Séolane © ubaye en carte
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