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Le temps du S.T.O.

Publié par Marie Christine Duval le mardi 3 juin 2025

La propagande pour attirer les travailleurs français en Allemagne n’a pas suffi, en juin 1942 le gouvernement de Vichy lance officiellement le dispositif de la Relève, une colossale supercherie afin de persuader que les ouvriers français serviront de monnaie d’échange pour le retour des prisonniers de guerre. On a parlé de volontariat, mais sait-on vraiment qui a été volontaire ? Il a été utilisé tellement de moyens de pression pour provoquer un faux volontariat.

propagande Allemagne
La propagande du régime de Vichy

L’occupant exigeant toujours plus de main d’œuvre, la loi du 4 septembre 1942 instaure le Service du Travail Obligatoire. Plus de 600 000 français vont être victimes du travail forcé en Allemagne nazie, 30 000 d’entre eux sont décédés pendant leur réquisition, on estime que seulement 19 000 personnes ont pu s’évader des camps de travail.

Les préfectures reçoivent les quotas de main d’œuvre exigés par l’office de placement, ces quotas ne seront pas atteints mais un grand nombre de personnes vont être contraintes. Les femmes aussi sont concernées, on dresse la liste de toutes les femmes dans chaque village pour recenser celles qui pourraient partir travailler. Pendant toute l’année 1943 les départs pour l’Allemagne ou les chantiers de l’organisation Todt s’intensifient. Pour 1944 dans les Basses Alpes, l’office de placement de Digne exigeait encore 4025 ouvriers, à raison de convois de 161 personnes tous les 15 jours, répartis au prorata de la population des cantons…

liste des ouvriers à fournir en 1944 AD 0042W0009
Archives départementales des AHP 0042W009

Comme partout, après les ouvriers spécialisés du département (notamment ceux de la chimie à Saint Auban), après les mécaniciens, les chauffeurs, et les travailleurs étrangers, ce sont tous les jeunes hommes à l’âge du service national qui ont été livrés à l’occupant par le régime de Vichy. Les jeunes nés entre 1920 et 1922 sont embarqués manu militari, certains depuis les chantiers de jeunesse qui tiennent lieu de substitut au service militaire.
 La direction des chantiers de jeunesse établit les listes de requis. Pour les Basses Alpes, au 7 février 1943 elle compte 233 jeunes nés entre le 1/01/1920 et le 3/03/1922, et 47 nés entre le 1/04/1922 et le 31/08/1922, soit 280 hommes. Et ces listes des chantiers de jeunesse sont encore majorées, ainsi pour la région administrative de Marseille (8 départements du sud) on passera de 11 615 à 16 537 hommes à « fournir ».

Il est bien difficile d’échapper à la réquisition, comment survivre en proscrit, traqué par la police de son pays et par l’occupant, sans carte de rationnement alimentaire, et pour combien de temps ? Bientôt toutes les mairies reçoivent des demandes de renseignements sur les familles : où est le fils untel ? et cet autre neveu que fait-il en ce moment ? La gendarmerie recherche les réfractaires au service. Il y a des contrôles partout et on voit des gens vigoureusement arrachés à leur famille ou à leur poste de travail et emmenés.

 Ils avaient 20 ans en 1942

Pellat Julien 1942
Julien Pellat

Il y a ceux qui sont revenus à l’été 1945, après la liesse de la Libération. On les a appelé « déportés du travail », mais depuis 2008 ils sont les « Victimes du travail forcé en Allemagne nazie ». Nos familles locales ont été touchées comme partout en France.

S’il n’est pas possible d’évoquer toutes les victimes, quelques témoignages ou documents permettent de mieux appréhender leurs souffrances et le contexte de l’époque.
Plusieurs conscrits d’Allos ont passé l’hiver 42 dans les chantiers de jeunesse de Nyons ou Ménerbes, soumis à des travaux forestiers pénibles, sous une discipline de fer. Au 15 juin 1943 ils sont embarqués à la gare d’Avignon en direction de l’est de l’Allemagne, pour 23 longs mois. Julien Pellat faisait partie de ceux-là. Beaucoup de jeunes fils d’agriculteurs se considéraient déjà comme soutien de famille, ils délèguent leur solde à leur famille avant de partir, ce qui ne sera en fait qu’un maigre pécule en monnaie fortement dévaluée.

Chantier de jeunesse dessin Paul Ceze
La fin du chantier de jeunesse, embarquement immédiat. Dessin de Paul Cèze.
STO julien Pellat
Archives départementales des AHP 0042W013

La correspondance est censurée (grand trait bleu). On ne doit pas se plaindre, sous peine de représailles, mais les derniers mots révèlent l’ angoisse : plus de colis ni de correspondance reçus.

STO Pellat Julien
La correspondance sur carte ouverte, seul lien avec le déporté du travail

Julien Pellat doit être hospitalisé dès son rapatriement de Saxe, le 2 juin 1945 le jeune homme passe les derniers mois de sa vie en sanatorium et à l’hôpital de Digne où il décède. Le drame est difficilement vécu par sa famille et ses proches

 Son nom est alors gravé sur le monument aux morts de son village, en tant que victime de guerre, avec les morts pour la France, au même titre qu’Adrien Matheron, soldat prisonnier de guerre, abattu en juin 1940 le long de sa colonne.

affiche des rapatriés 1945
Affiche de solidarité, à la Libération

Avec le temps est venue une hiérarchisation des victimes de la guerre, tous les rapatriés n’ont plus été considérés de la même façon, nombreuses sont les familles qui en ont souffert et en souffrent encore…

Paul Cèze, écrivain et dessinateur, qui se définissait lui-même comme « Enfant du Verdon », n’a pu témoigner de son triste destin de STO que 50 ans après, en consentant à publier son carnet d’exil. Il y raconte le départ forcé, les mauvaises conditions de vie, les punitions subies par tous les déportés français, ou étrangers encore plus mal traités, la souffrance des hommes. Il explique aussi les feintes, la passivité et le peu de rentabilité de l’ouvrier déporté, le petit sabotage à l’échelle de sa production. Il souligne également la propagande à destination du peuple allemand, à qui on veut faire croire que ces travailleurs arrivent en masse pour gagner de l’argent facile. La population met un certain temps à comprendre les raisons de la tiédeur de leur zèle au travail et leur incompétence notoire. La déportation se termine sous les bombardements, une délivrance plus que périlleuse et un retour bien long…(« Chroniques des années noires », Paul Cèze, Editions de Haute Provence).

STO dessin Paul Cèze
leçon de vocabulaire avec le grand Müller, dessin Paul Cèze, Chroniques des années noires

 Et puis il y a eu de plus en plus de réfractaires

En aout 1943 la préfecture de Digne recherche 214 personnes des Basses Alpes, auxquelles vont s’ajouter des arrêtés complémentaires. Beaucoup de réfractaires sont allés grossir les rangs des maquis, chacun contribuant à sa façon à la Libération. L’aventure était risquée et très dangereuse, les conditions de vie difficiles.

résistants photo maison musée du haut verdon  Colmars les Alpes
photo Musée du Haut Verdon à Colmars

A Méolans-Revel les jeunes ont pu trouver refuge dès 1942 avec la complicité de André Gilly, Fernand Roux, Léon Honoré, eux même recherchés. Lucien Laurent, aujourd’hui doyen centenaire du Lauzet fut un membre actif de la résistance. A Barcelonnette on recherche Joseph Garino, chauffeur réquisitionné, autre résistant… et bien d’autres, appelés défaillants ou oisifs. Il suffit de ne pas s’être fait recenser pour être arrêté. Les avis de recherche sont fort heureusement souvent assez vagues, peut être grâce à un fonctionnaire acquis à la cause ? Il y en a eu. Allez donc chercher Gilly, Reynaud, Girard, Michel, Blanc, Roux ou Grac sans connaître son prénom usuel, ni son hameau d’origine…

Des gendarmes s’engagent en faveur des réfractaires. Le 6 mai 1944 au Lauzet, le maréchal des logis Maurice Dubreucq signe des avis de cessation de recherches, au motif de certificats produits, notamment pour Honoré Léon (Jean Auguste). Le 9 juin 1944 ils seront tous deux au Pas de la Tour, les armes à la main, puis aux autres combats meurtriers de la Résistance en Ubaye.

recherche Honoré STO AD04 42W
Archives départementales des AHP 0042W009

De même les gendarmes de Colmars ne « découvrent pas de réfractaire » dans leur circonscription, malgré tous les déplacements des parents ravitailleurs vers les cabanes au-dessus du village. Hélas quatre gendarmes de cette brigade seront fusillés par les Allemands en tant qu’otages en représailles de l’attentat du Pont d’Ondres du 18 juillet 1944.

recherche STO maquis Colmars AD 42W
Archives départementales des AHP 0042W009

 Un grand merci à la famille Pellat pour le partage de ses documents personnels.

Les documents de la préfecture de Digne sont consultables aux Archives départementales des AHP, série W.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



 

 

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