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Là-haut sur la montagne

Publié par Marie Christine Duval le mardi 28 novembre 2023

Les prés du Lambournet dominent le vallon de la Blanche de Laverq, bien exposés sur la rive droite. On peut y grimper par différents endroits, mais tous les chemins sont rudes pour arriver à ce plateau, situé vers 1700 mètres d’altitude. C’est bien ce que devaient penser les innombrables générations qui y sont allées travailler au fil des siècles, que ce soit pour les pâturages, le bois, les prés de fauche, et même les cultures de céréales.

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Certaines familles devaient parcourir jusqu’à 600 mètres de dénivelé pour atteindre ces champs. Il fallait donc aménager des abris pour le matériel et les récoltes, accessoirement pour les hommes ; quelques-uns ont pu construire leur cabane, appelée un « chazal ».

 Puis l’exode rural a vidé la montagne. Ainsi le Lambournet, très peu fréquenté et si difficile d’accès, a pu abriter le maquis du Laverq en mai 1944, grâce à l’engagement de la famille Gilly.

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Les prés du Lambournet, vus d'en face

Si plusieurs cabanes plus ou moins solides ont pu être aménagées au 19ème siècle dans ce secteur, il ne faut pas croire que tout était permis et qu’il suffisait d’un peu « d’invention rurale » et de quelques planches pour faire un chalet sur son pré.

Il fallait des autorisations très parcimonieusement accordées par la préfecture, sur avis de l’administration des eaux et forêts. Le Lambournet jouxtant la forêt communale soumise au code forestier, il s’agissait de « construction à distance prohibée » , donc interdite sauf dérogation. Il fallait donc surmonter un tas d’obstacles administratifs.

En 1871 une autorisation est accordée à Jean Baptiste Célestin Gilly qui habite Saint Barthélémy, donc très loin, à 6 km de ses terres à exploiter dont il retire « 60 quintaux métriques de foin ». Sa demande sur papier timbré est appuyée par une délibération du conseil municipal; une enquête conclut qu’il est honnête et n’est pas « délinquant forestier », a priori il ne risque pas de voler du bois communal, d’ailleurs il a été embauché par les Eaux et Forêts… Un rapport confirme que sa cabane ne va pas « abimer le sol forestier », elle devra être démolie à tout moment si l’administration le juge nécessaire. Les autorisations ne seront que provisoires,  les dossiers se succèdent dans les archives, tous les 10 ans les propriétaires renouvellent leur demande. Ce sont principalement les Gilly des Testuts, des Bonnabaux et du Mas des Hubacs, tous habitant 600 mètres en dessous, qui présentent des demandes.

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Les cabanes serviront beaucoup pendant les mois d’été, mais pour revenir, chargé des récoltes, le chemin reste long et pentu, à peine assez large pour l’âne ou la mule. C’est alors qu’apparait le progrès technique : on va pouvoir installer un câble porteur. Le fil de fer est devenu abordable et on va inventer des mécanismes à moindre frais pour descendre les récoltes, le plus souvent des barillons de foin, ailleurs des bidons de lait, mais rarement du bois pour éviter tout problème avec le garde !  

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la réception des barillons de foin © dessin Nathalie Duval
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cable bouchier
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Vestiges d'installations sur la commune d'Allos  

Le Laverq n’est pas en reste pour s’adapter à ce progrès. C’est en 1886 que le premier « fil de fer » est installé pour descendre le foin du Lambournet, soit dix ans avant l’encouragement officiel et médiatique pour une généralisation des câbles porteurs, par François Arnaud puis André Honnorat. Et là encore il fallait conquérir une autorisation administrative ! Pas question de toucher la cime des arbres, et encore moins d’en couper un. A cela s’ajoute la réticence et l’inquiétude des propriétaires « survolés » par le fil… donc nous avons de gros dossiers d’archives pour alimenter l’histoire du pays.

C’est Jean Baptiste Simon Gilly, domicilié au hameau des Bonnabaux, qui présente le premier, au printemps 1886, un projet d’installation pour un fil de fer de 400 m qui doit survoler une partie de la « forêt soumise ». Il obtient l’autorisation des services forestiers à Aix en Provence, en novembre, après la récolte, donc pour 1887.  Après lui, Joseph Gilly désire installer un câble arrivant au hameau des Clarionds, par-dessus la forêt du défends des Clarionds… En 1897 plusieurs câbles fonctionnent, dont un très long entre le Lambournet et les Cognets… Plusieurs propriétaires successifs, souvent de père en fils, installent ou renouvellent l’autorisation des « fils de fer », qui deviennent des « câbles porteurs », puis des « câbles funiculaires ». La municipalité est favorable à ces installations et ne réclame pas la taxe à payer à la commune. Rappel à l’ordre du préfet : tout le monde doit payer une redevance, même modique.

 Un rapport favorable en 1893 se termine ainsi :

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extrait dossier Archives départementales des Alpes de Haute Provence 7M256

« … Le pétitionnaire est un honnête homme et nous ne pensons pas qu’il ait de mauvaises intentions à l’encontre de la forêt dont il est voisin.
En conséquence, nous sommes d’avis qu’il y a lieu d’autoriser Mr Gilly Napoléon à construire la dite cabane, sauf à l’impétrant à s’engager préalablement, par acte sur timbre et enregistré, qui devra être remis aux archives de l’Inspection, pour lui, ses héritiers ou ayants droit, à démolir la dite cabane sur une sommation extra judiciaire qui lui serait faite en vertu d’un arrêté préfectoral pris en conseil de préfecture sur l’avis ou la proposition du Chef de service des Forêts et statuant que la construction est devenue préjudiciable au sol forestier. »

Signé Sardi

Charles SARDI est l’inspecteur qui nous a laissé de belles photographies de Plan-Bas lors de son service de restauration des terrains de montagne à Méolans. Gilly Napoléon, fils de Justin, habitait au hameau des Testuts.

En 1897, l’avis pour le câble d’Augustin Gilly fils de Jean Baptiste Justin, du hameau des Hubacs, rajoute à la complexité : «... comme du reste le câble à établir passera, non seulement au-dessus de la forêt communale de Méolans et Revel (indivis), mais encore au-dessus de propriétés diverses appartenant à des particuliers, il parait opportun, afin que le droit des tiers soit réservé et avant la prise de l’arrêté préfectoral proposé ci-dessus, qu’un arrêté préfectoral  préalable ordonne la soumission de la présente affaire à une enquête de vingt jours à la mairie de Méolans, afin que les propriétaires intéressés puissent, le cas échéant, présenter leurs observations sur l’établissement dudit câble… »  

Sources AD04 liasse 7 M 256
Photos Lucien Tron pour Méolans. Région PACA: inventaire "Patrimage" pour Allos, et famille Duval.

 

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