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EVA LIPPMANN, une jeune fille au maquis

Publié par Marie Christine Duval le jeudi 26 septembre 2019

 En septembre 1943, à 22 ans, Eva choisit de suivre son père Jean LIPPMANN et deux de ses frères dans la lutte clandestine.

Contact est pris avec les réseaux de résistants de l’Ubaye. En liaison avec l’ORA (Organisation de Résistance Armée) un maquis d’une dizaine de personnes s’organise au Laverq sous la direction de Jean avec la complicité bienveillante des habitants. Ce maquis sera ensuite renforcé par de nombreux volontaires, effectuera des actions opérationnelles dans toute l’Ubaye mais vivra des moments tragiques.

fausse carte Eva
La fausse carte d’identité d’Eva le 31 mai 1943. Son père, déjà résistant, est recherché. Face à la police pétainiste, la famille, inquiète, se choisit une nouvelle identité. Lorrain, déjà ce nouveau nom.. et Elisabeth au lieu d'Eva. Eva hésite à signer, ne se reconnait pas encore dans son nouveau prénom.

Eva a raconté elle-même sa vie clandestine dans la montagne en quelques pages manuscrites laissées à sa famille. Dans son récit on découvre son engagement, mais comme les autres femmes Résistantes elle reste modeste et discrète sur son rôle. Loin de l’histoire d’une Résistance longtemps résumée aux faits d’armes, son témoignage personnel fait revivre la société des Lavergans opposée au régime de Vichy et à l’occupant nazi, acceptant la terrible menace de la répression.

Eva fenêtre 1944
Le presbytère pendant l’hiver 43-44, Eva photographiée par son frère Claude, passe la tête à la fenêtre.

 «… J’ai donc vécu dans ce maquis pendant plusieurs mois de septembre 1943 jusqu’au 6 juin 1944, seule fille au milieu des garçons… Avant le 6 juin, notre maquis était installé dans une vieille maison, un ancien presbytère à côté d’une vieille et jolie petite église dans un hameau perdu à 1500m d’altitude. Un dortoir pour les hommes, une pièce commune avec un poêle à bois, ma paillasse dans une alcôve, un buffet, une grande table et des prie-dieu en guise de chaises ; une autre pièce servait de réserve pour les vivres (pommes de terre, carottes, pommes de la vallée). La neige est tombée tôt cette année là et en abondance. Une petite route s’arrêtait 6 km plus bas et se continuait par un chemin muletier. Tous les soirs deux garçons descendaient jusqu’au premier hameau pour monter la garde.

L’ORA nous avait procuré des skis, des uniformes de chantier de jeunesse en gros drap, quelques parkas fourrées, des grosses chaussures.

En reconnaissance

 C’est aussi l’ORA qui assurait notre ravitaillement : de la farine, du pain (le principal résistant de Barcelonnette était minotier) que nous complétions par des produits achetés dans la vallée : lait, pommes de terre. Les étudiants en médecine * étaient devenus médecins de la vallée et ramenaient parfois des œufs, du beurre, une volaille en guise d’honoraires. Une fois par semaine une équipe descendait 12 kms plus bas, 24 kms aller-retour, partie à pied partie à ski, pour chercher le ravitaillement expédié par Barcelonnette.Il arrivait que la remontée se fasse en compagnie d’un paysan et de son mulet qui nous déchargeait sur une partie du chemin. Notre vie était organisée. Chaque jour, à tour de rôle l’un des garçons avait la charge du feu et de la cuisine. Dispensée de ce tour de rôle, j’aidais à la cuisine, m’occupais de la lessive, du raccommodage des chaussettes (nous marchions beaucoup et on ne pouvait pas les remplacer). Je grondais parfois des garçons pour qu’ils se lavent et se changent plus souvent ! Il faut dire que la fontaine était à 50m et que l’eau était glacée ! Pour nous éclairer nous avions une lampe à acétylène qui charbonnait et fardait nos yeux.

En partance
Un zoom sur le groupe de résistants en partance pour la bergerie du Lambournet, 1er mai 1944. Dans le groupe, Eva , élégante, a mis un foulard sur sa tête
Déménagement

Les paysans de la vallée avaient tous le même esprit de résistance que nous. Nous avons passé chez les uns et les autres de nombreuses veillées. Nous écoutions Radio Londres : les Français parlent aux Français. Parfois un accordéon sortait et nous dansions avec nos gros pantalons et nos grosses chaussures. Une heure à ski pour regagner notre chez nous la nuit ne nous effarouchait pas.

Je n’ai pas parlé des armes, ce n’était pas mon affaire…. »

Eva sur l'Estrop
Hiver 43-44, en reconnaissance sur les sommets : ici Eva sur la tête de l’Estrop, passage vers la haute Bléone

 Eva se dit non autorisée à participer aux expéditions les plus périlleuses… mais d’autres témoignages assurent qu’elle participait effectivement à bien des périples de reconnaissance ou de préparation de refuges éventuels… Elle poursuit son récit en évoquant les tragédies vécues pour la libération de la Vallée.

Eva fusil mitrailleur
Juillet 1944, le maquis Lorrain contribue à la libération des hautes vallées du Verdon et du Var. Eva pose avec un fusil mitrailleur. Elle peut enfin toucher une arme !

« Le 6 juin 1944 ordre est donné aux maquis de passer à l’action militaire. Je suis alors séparée de mes compagnons. Je suis affectée à ce qu’on appelle un peu pompeusement une ambulance chirurgicale mobile. En fait d’ambulance il fallait se débrouiller pour trouver un véhicule… une camionnette à gazogène le plus souvent. J’avais la responsabilité d’une grosse malle contenant médicaments, pansements, seringues, petit matériel chirurgical… J’ai appris dans l’urgence à faire les pansements nécessaires et les piqures. Nous installions notre infirmerie dans une vieille ferme ou grange, nous avons du nous déplacer à plusieurs reprises pour rester proches des combats. Il y avait en principe trois médecins que j’ai vus rarement ensemble…

Je connaissais très bien les montagnes de la région pour les avoir parcourues avant la guerre avec mes frères. Il m’est arrivé de guider un groupe de maquisards (une centaine) qui se repliaient après une violente contre attaque allemande, de nuit, par des passages difficiles jusqu’à un refuge où pendant l’hiver notre maquis avait entreposé des vivres de réserve.

J’ai aussi participé à un parachutage dans la montagne au Col des Champs… C’était un bonheur de voir les grandes corolles des parachutes descendre sous le clair de lune…et de marcher ensuite à coté des mulets et des charrettes qui transportaient les containers.

La vie au maquis a été une aventure belle et exaltante, mais dure et parfois tragique. J’ai eu bien souvent peur pour moi mais le plus souvent encore pour mes camarades quand je les voyais partir en embuscade. Je n’oublierai jamais ce matin du mois de juillet 44 où j’ai vu mon père pour la dernière fois. Il partait pour une réunion des chefs de la Résistance de la région qui devait se tenir dans la haute vallée de la Bléone, au dessus de Digne. Il était souriant, confiant, il m’a embrassée et je l’ai regardé s’éloigner sous les mélèzes…le lendemain avant même que le jour se lève plusieurs camions de soldats allemands partis de Digne remontaient cette vallée et cernaient la maison où étaient réunis les chefs de la Résistance. Les maquisards étaient bien armés, la bataille dans la nuit fut confuse et les maquisards (mon frère Jacques y était) purent s’échapper…sauf mon père, le plus âgé de tous. Dans le même temps un autre groupe d’Allemands attaquaient un peu plus haut dans la vallée une infirmerie de maquis ; là aussi une partie des maquisards alertés par le bruit des armes de l’attaque du PC purent s’échapper sauf six d’entre eux malades ou blessés. Devant l’infirmerie en flammes ils furent fusillés avec mon père. 

 Je ne l’ai su que quelques jours plus tard… mais ce malheur n’a fait que confirmer mon engagement dans la résistance.

Stèle

Après la guerre je me suis mariée avec un camarade de ce maquis. Nous nous l’étions promis si nous survivions…

Visite 1958 chez Alfred Tron
1958, Retrouvailles chaleureuses : Eva, son mari Raymond et son frère Claude (qui a pris la photo) sont venus saluer la famille Alfred Tron et lui présenter leurs enfants

…Longtemps j’ai correspondu avec quelques familles de la vallée, et en 1994, en présence de quelques habitants, du maire et de quelques personnalités nous avons mis en place à coté de la petite église et de la maison où nous avions passé l’hiver 1943/1944, une grosse pierre avec une plaque qui rappelle notre combat et celui des habitants de la vallée. Mais beaucoup des nôtres manquaient à l’appel et nous étions étonnés de recevoir de chaleureuses accolades de robustes montagnards que nous avions connus jeunes gens. »

Laverq résistance

Mireille, Alain et Marie-Christine

Texte et photos: archives familiales privées famille Baby-Lippmann, avec leur aimable autorisation.

*Il s’agit de son frère Claude Lippmann et de son cousin Georges Abraham.

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