Dernier cri plaintif
Un dernier cri ? Une plainte ? C’est la commune qu’on assassine. De nos jours on dirait : « les élus poussent un coup de gueule », mais en 1850 le conseil municipal de Méolans pousse « un dernier cri plaintif » … sur le déplacement de la route départementale.
Depuis des temps immémoriaux le chemin pour l’Italie arrivait de l’ouest par la rive gauche de l’Ubaye et passait dans Méolans, il ne traversait l’Ubaye qu’après le bourg pour continuer sur la rive droite vers Barcelonnette. A l’occasion des travaux d’aménagements de la grande route départementale, le conseil général des Basses Alpes choisit de traverser l’Ubaye avant le chef-lieu, au hameau du Martinet. Dans le contexte de l’époque l’affaire est vécue comme un drame. Un siècle plus tard les communes imploreront des déviations à cause du trafic motorisé, mais en 1850 ce n’est pas encore le problème.
Le conseil municipal, réuni extraordinairement, doit répondre au préfet dans le cadre de l’enquête publique, procédure qui existait déjà depuis 1834. Or tout le monde sait que les travaux ont commencé. Après avoir expliqué combien « il semble ridicule qu’on fasse faire l’enquête quand les travaux sont à moitié faits » … le maire a dit :
« Cependant, Messieurs, la commune de Méolans aura trop à souffrir de ce changement de route pour ne pas jeter un cri plaintif au moment où le coup fatal va être porté au commerce, à l’industrie et même à l’existence des malheureux habitants que vous administrez. Le conseil municipal voudrait bien s’opposer de toutes ses forces à l’exécution de ce fatal projet, mais en voyant l’obstination de l’administration à transporter cette partie de route sur la rive droite il ne peut s’empêcher de croire que tous les motifs qu’il pourrait faire valoir iraient échouer auprès de la commission d’enquête et du conseil général de ce département, néanmoins avant de s’incliner devant leur décision il ose protester contre une mesure qui va séquestrer de la société la plus grande partie des habitants de cette commune et les réduire dans l’isolement le plus complet.
De tous les temps les divers gouvernements qui se sont succédé en France en faisant construire des routes nouvelles ou en améliorant celles qui sillonnent partout le sol français ont toujours eu en vue de favoriser les populations des campagnes afin de ne faire de la population française qu’une seule et grande famille nationale. Pourquoi cette pensée n’a pas été celle de l’administration supérieure de ce département qui cependant avait mission de favoriser indistinctement toutes les populations qui lui sont confiées ? Pourquoi la commune de Méolans serait-elle abandonnée de tous les hommes éminents qui composent le conseil général de ce département ? Qu’a-t-elle fait cette malheureuse commune ? Est-ce qu’elle n’a pas toujours contribué pour sa bonne part dans la charge des impôts nécessaires à l’entretien et au besoin de l’état ? Est-ce qu’elle n’a pas toujours fourni son contingent d’hommes pour la défense de la patrie ? La réponse à ces questions ne saurait être douteuse. Est-ce qu’elle se serait montrée, par quelque manifestation, hostile au Gouvernement ? assurément non. Qu’a-t-elle donc fait pour être repoussée d’une manière si dédaigneuse et punie si sévèrement ? Encore si sa perte pouvait être profitable aux autres communes de l’arrondissement, mais malheureusement elles n’en seront pas plus riches.
La route sera, dit-on, un peu plus au soleil. Oh oui sans doute, mais pour procurer cinq minutes de soleil à un voyageur ou à un charretier qui ne fait que passer, faut-il sacrifier toute une commune ? Ce n’est pas là de l’humanité.
Par tous ces motifs et considérations le conseil municipal s’incline devant la décision qui sera prise par la commission d’enquête et remet la destinée des habitants de cette malheureuse commune entre les mains de l’autorité supérieure qui a mission de protéger tout le monde. » Signé Clariond, maire, le 16/12/1850.